Au Sénégal, les migrants de retour luttent ensemble contre l’exploitation forestière

OIM - ONU Migration
8 min readFeb 25, 2020

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Quand les premiers Peuls sont arrivés à Medina Touat, ils y ont vu de riches pâturages et une nature luxuriante. “La terre était fertile, l’agriculture produisait bien, l’élevage ne nous fatiguait pas et nous avions de nombreuses bêtes. Il n’y avait pas de difficultés à vivre ici. Maintenant, tout a disparu”, lance Abdoulaye Ba, le conseiller du chef de village, assis sous un appentis dans son ample boubou blanc, le visage dans les plis.

Photo: RO Dakar

Bordé de la forêt classée de Kantora à l’est et du parc national du Niokolokoba, dernier poumon vert du Sénégal et patrimoine mondial de l’Unesco, au sud, Medina Touat était chéri de ses habitants pour son gibier et l’abondance de ses fruits. Aujourd’hui, ses jeunes le fuient. Les sols sont devenus arides, les vaches ne produisent pas assez de lait et les arbres ne donnent plus de fruits.

Photo: RO Dakar

En quelques années, le changement climatique a modifié le paysage et les revenus, a ralenti le rythme de vie. Afin de subvenir à leurs besoins et ceux de leur famille, certains habitants se sont mis à couper les forêts environnantes. Du bois de vène précieux dont le tronc se vend 300 000 francs CFA sur le marché noir. Une fois passé la frontière gambienne, à 5 km de là, ils partiront à destination de la Chine.

“Trop de chômage et pas d’usine où les jeunes peuvent travailler, alors beaucoup sont obligés de défricher la forêt pour cultiver l’arachide ou piller le bois. C’est soit ça, soit le départ en migration”, avance Mamadou Gueye, conseiller municipal de Medina Goumas, une commune de 80 000 habitants et treize villages dont celui de Medina Touat.

Photo: RO Dakar

“Nous avons compté une centaine de départs par année dans la commune, poursuit-il. Et Medina Touat est le village d’où l’on a le plus de départs. Beaucoup de jeunes veulent aller en Espagne. C’est Barca ou Barsak (Barcelone ou la mort) comme on dit ici.”

Devant la mairie de Medina Goumas, il reste quelques charrettes saisies aux coupeurs de vène. “On en a capturé 243 dans l’année, assure M. Gueye. A deux troncs par charrette, vous faites le calcul”.

Nourrissant un trafic illégal, la déforestation alimente aussi le cercle vicieux du changement climatique. “En saison des pluies, si le couvert végétal ne freine pas les précipitations, l’eau crée des chemins de ruissellement et des ravinements qui affectent les champs cultivables, inondent les habitations, les emportent parfois, avertit Jean Ndiaye, chef de brigade des gardes-forestiers de Boncoto. Ensuite, il y a l’érosion éolienne. Le vent emporte les éléments nutritifs du sol et les remplace par du sable.”

Photo: RO Dakar

L’accélération du phénomène motive des départs de plus en plus nombreux, faisant de la Casamance la première région d’origine des migrants sénégalais. S’il est difficile de mesurer le nombre de départs, on peut mesurer le nombre d’arrivées. “De juin 2017 à aujourd’hui, l’OIM et l’Union européenne ont accompagné plus de 4 000 migrants de retour au Sénégal dont environ 1 500 sont originaires de la région de Kolda”, avance Souleymane Sow, chef du bureau de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) à Kolda, une ville de Casamance.

A ces nombreux jeunes revenus après avoir échoué leur migration, “il faut proposer un projet, leur permettre de gagner leur vie et mettre leur famille à l’abri du besoin, poursuit-il, sinon ils risquent soit de mener des activités illégales soit de repartir.”

Photo: RO Dakar

Afin d’offrir une solution locale et durable, l’OIM a lancé en 2019 dans le village de Medina Touat un projet-pilote nommé “Réintégration et résilience climatique : vers une dimension environnementale pour réduire la pression climatique sur la migration en Afrique de l’Ouest”. Financé par la France, son objectif est d’atténuer l’impact du changement climatique sur la migration, renforcer la résilience des populations face à ce bouleversement en réduisant la pression sur la nature.

Medina Touat est un village particulièrement pertinent pour tenter une expérience qui pourra ensuite être étendue au Sénégal et dans d’autres pays du continent. Entouré de ressources forestières, le village concentre 34 migrants de retour. “L’idée est de leur fournir un périmètre maraicher intégré communautaire de deux hectares, sur lequel ils peuvent cultiver des fruits et légumes et vendre une partie de la production sur les marchés afin de mettre leur famille à l’abri du besoin et les dissuader de repartir”, explique Souleymane Sow.

Photo: RO Dakar

Le projet est mis en place par l’ONG “Trees for the future” qui a dépêché sur place un technicien horticole, Sadio Sadio, chargé de former les migrants aux bonnes pratiques agricoles qui permettront de vaincre la faible pluviométrie et l’aridité des sols. “Il faut les former, comment semer efficacement, arroser, à quel moment et quels traitements fournir aux différentes plantes”, dit-il. Bêche à la main, il montre sur la parcelle clôturée le premier forage terminé. “Nous avons déjà installé un réservoir de 2 000 litres en haut du château. Il reste à repiquer la pépinière, bâtir un magasin pour le matériel, un autre pour le repos des employés et un poulailler.”

Au-delà des 34 migrants concernés par cette expérimentation horticole, c’est tout le village qui est visé. A terme, dix hectares de terres seront cultivés afin de nourrir toute la population locale. Rentré récemment après avoir vécu un périple éprouvant, Thierno Moussa Diallo est le président du groupement d’intérêt économique (GIE) constitué psr les migrants de retour autour de ce projet. Lui est parti en 2012, à 25 ans, pour chercher “une bonne vie”, confie-t-il.

“Je travaillais comme cultivateur d’arachide et de mil mais je ne récoltais que peu, même quand je travaillais dur. La pluie tombe 2–3 mois, non plus 6 comme avant, assure-t-il. Mes parents me racontaient comment c’était à leur époque, quand il y avait beaucoup d’arbres. Maintenant, il y a de plus en plus de désert dans le village.”

Photo: RO Dakar

Selon lui, environ 80 à 100 jeunes sont partis de Medina Touat depuis 2012. Sur les 34 migrants qui sont rentrés, tous sont des hommes de 22 à 28 ans. “J’ai créé ce GIE parce que je crois en ce projet. Je sais qu’avec les bonnes connaissances et beaucoup de travail, on peut s’en sortir ici. Quand j’étais en Algérie, j’ai travaillé dans des fermes maraîchères qui rapportaient beaucoup d’argent”, se souvient-il.

De son périple, il en parle en baissant la voix. Après une route qui l’a conduit du Sénégal à la Libye, il a été arrêté en mer par les garde-côtes. Ramené à terre, dans un pays en guerre, il a vu beaucoup de morts, “des femmes et des enfants aussi”. Incarcéré dans une prison libyenne, il réussit à s’enfuir un mois plus tard. “J’ai profité d’un moment d’inattention des gardes et j’ai couru toute la nuit en zigzaguant pour les semer.” Arrivé à Tripoli, il cherche le bureau de l’OIM. “J’ai demandé à rentrer. J’étais fatigué, effrayé, souffle-t-il. On m’a ramené jusqu’à mon village, Medina Touat. En me voyant, ma famille a pleuré. Beaucoup pensaient que j’étais mort en Libye.”

Son voyage lui a coûté 700 000 francs CFA. “Je suis parti de chez moi avec 50 000 CFA et j’ai gagné le reste sur la route en travaillant”, explique-t-il. Désormais, il fait de ce projet maraîcher une priorité. Il en parle avec des yeux lumineux d’excitation. “On va faire des légumes et des fruits. Cultiver de la mangue, de l’orange, de la salade, des oignons, des piments…” Sadio Sadio poursuit la liste. “Il y aura aussi de la tomate, de l’aubergine, du chou. D’autres viendront plus tard. Nous allons planter en fonction des saisons et planter des arbres fruitiers pour produire des citrons, des goyaves, des papayes, des bananes, et des pastèques.” Suffisamment pour tenir une année malgré la sécheresse et l’harmattan, un vent chaud et sec venu du désert.

Photo: RO Dakar

Les ambitions sont élevées. Une fois les premières récoltes vendues sur les marchés environnants, dans des restaurants et des hôtels avec lesquels ils ont des partenariats, le GIE pourra croître et gagner de l’argent. “Cela permettra d’acheter des outils, voire une camionnette ou un tracteur, lance Sadio. Je pense qu’on peut gagner plus d’un million de CFA tous les six mois.” Une somme qui sera mise dans une caisse commune afin d’économiser en prévision des périodes de soudure, précédant les premières récoltes. Cet argent sera alors réparti en fonction des besoins.

Photo: RO Dakar

Sadio Sadio vise une croissance rapide. Dès la deuxième année, “on essaiera de fournir fermes et matériel à chacun d’entre eux pour leurs parcelles personnelles, s’engage-t-il. Ils seront formés et auront toutes les capacités pour produire aussi chez eux. Puis on aidera et formera d’autres villageois.” Pour l’instant, il est prévu que ce projet pilote dure jusqu’en 2022. Si ce projet réussi, il pourra servir d’exemple pour d’autres pays africains et ailleurs.

“Je suis le premier agent de Trees for the future, dans toute l’Afrique, à commencer ce travail”, avance Sadio. La lourde tâche qui lui incombe ne lui fait pas peur : “Pas du tout, sourit-il. Former les gens à subvenir à leurs besoins, tout en préservant la nature. Y a-t-il quelque chose de plus gratifiant ?”

L‘aide au retour et à la réintégration des jeunes migrants de retour à Taouat a été rendue possible grâce à l’Initiative conjointe UE-OIM pour la protection et la réintégration des migrants à travers le Fonds fiduciaire d’urgence de l’Union européenne pour l’Afrique.

Cette histoire à été écrite par le Bureau régional OIM Afrique de l’Ouest et du Centre

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